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1791-1892 : un pas en avant, deux pas en arrière…
Au Bas-Canada, l’Acte constitutionnel de 1791 accorde la qualité d’électeur à quelques propriétaires, sans distinction de sexe. Certaines femmes du Bas-Canada qui ont les qualités requises interprètent cet « oubli » constitutionnel comme une autorisation pour voter. Elles sont, semble-t-il, les seules dans l’Empire britannique à se prévaloir de ce droit. L’air du temps n’est cependant pas favorable aux droits des femmes. En 1849, sous le ministère LaFontaine-Baldwin, on corrige cette « irrégularité historique » en interdisant formellement aux femmes de voter.
En 1892, toutefois, le premier ministre conservateur du Québec, Charles-E. Boucher de Boucherville, fait toutefois voter une loi octroyant, pour les élections municipales et scolaires, le droit de vote aux femmes célibataires et propriétaires ainsi qu’aux veuves, pour les élections municipales et scolaires, à la condition qu’elles ne se portent pas candidates.
1912-1922 : débuts du mouvement suffragiste
Au Canada, la Women’s Suffrage Society, première association de suffragettes, a vu le jour en 1883. Au Québec, il faut attendre le 20e siècle pour que s’amorce un véritable mouvement de lutte pour le droit de vote des femmes. En 1912, la Montreal Suffrage Association mobilise ses forces pour que les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral. Il leur est octroyé en 1918.
Dans les autres provinces canadiennes, les suffragettes sont actives. En 1916, le Manitoba est la première province à accorder le droit de vote aux femmes. Il est suivi, la même année, de la Saskatchewan et de l’Alberta. En 1917, la Colombie-Britannique et l’Ontario se joignent au mouvement. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard autorisent respectivement le droit de vote aux femmes en 1918, en 1919 et en 1922. Terre-Neuve-et-Labrador, qui se joindra au Canada en 1949, accorde, pour sa part, le droit de vote aux femmes en 1925. Seules les Québécoises ne peuvent pas encore voter au palier provincial.
1922-1940 : croisade des suffragettes pour l’égalité
Les militantes s’organisent
Le mouvement suffragiste québécois est essentiellement urbain et est l’œuvre d’une minorité de femmes avant-gardistes pour l’époque. Le Comité provincial pour le suffrage féminin (CPSF), dont les membres sont, pour la plupart, issues de la Montreal Suffrage Association et de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, voit le jour en 1922. Militantes anglophones et francophones s’unissent donc pour la même cause. D’abord coprésidé par Mme Marie Gérin-Lajoie et Mme Walter Lyman, le groupe se scinde en 1927. Dès lors, deux femmes prennent la tête du mouvement suffragiste :
- Idola Saint-Jean, de l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec;
- Thérèse Casgrain, du Comité du suffrage provincial (la Ligue des droits de la femme, à partir de 1929).
En plus de militer au sein de ces organisations, les deux femmes contribueront à briser des barrières en investissant le milieu de la politique active et en se présentant comme candidates au palier fédéral. Appuyée par des ouvrières, Idola Saint-Jean sera la première Québécoise francophone à se présenter, en 1930, comme candidate libérale indépendante lors d’un scrutin fédéral dans le comté de Saint-Denis. Thérèse Casgrain sera, pour sa part, candidate en 1942 dans la circonscription fédérale de Charlevoix-Saguenay, également en tant que libérale indépendante. Entre 1942 et 1962, elle sera défaite à neuf reprises lors d’élections provinciales et fédérales. Mme Casgrain deviendra cependant la première femme à diriger un parti politique au Québec lorsqu’elle sera élue, en 1951, chef de l’aile provinciale de la Fédération du Commonwealth coopératif (CCF).
Les adversaires
La quête pour les libertés démocratiques est longue : la route est pavée d’écueils et les adversaires sont nombreux. Le clergé, les politiciens, les journalistes, la majorité des femmes – bref, la société en général ne souscrit pas à l’idée que les Québécoises deviennent des citoyennes à part entière. À cette époque, cela signifierait la fin d’une société fondée sur l’exclusion des femmes. Cette exclusion est confirmée dans le Code civil adopté en 1866, qui confirme également l’incapacité juridique des femmes mariées. En d’autres termes, les femmes n’ont pas les mêmes droits juridiques que les hommes.
Les arguments contre le droit de vote portent essentiellement sur la place des femmes au foyer et sur leur rôle de gardiennes de la race canadienne-française. Les propos suivants traduisent bien les obstacles et les préjugés auxquels sont confrontées les suffragettes :
« L’entrée des femmes dans la politique, même par le seul suffrage, serait pour notre province un malheur. Rien ne le justifie, ni le droit naturel, ni l’intérêt social; les autorités romaines approuvent nos vues qui sont celles de tout notre épiscopat. » (Cardinal Bégin; source : Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990, p. 23.)
« Advenant l’adoption de ce bill, la femme ressemblerait à un astre sorti de son orbite. » (L.-A. Giroux, conseiller législatif [Wellington]; extrait des débats du 25 avril 1940 à l’Assemblée législative.)
« […] les Canadiennes françaises risquent de devenir des femmes publiques […] de véritables femmes-hommes, des hybrides qui détruiraient la femme-mère et la femme-femme ». (Henri Bourassa, fondateur du quotidien Le Devoir; source : Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990, p. 20.)
La stratégie de combat
La lutte des femmes s’inscrit dans ce contexte et le combat s’organise sur deux axes.
- Les militantes entreprennent des opérations médiatiques auprès de la population : manifestations publiques, utilisation des médias et campagnes d’information savamment orchestrées. Ces actions permettent au mouvement suffragiste de « transformer » petit à petit les mentalités et de s’allier une opinion publique largement réfractaire, au départ. En 1935, lors du 25e anniversaire du règne du roi George V, les suffragettes lui feront parvenir une pétition de 10 000 signatures en faveur du suffrage féminin au Québec.
- Les militantes font du lobbying auprès des députés à l’Assemblée législative du Québec. Chaque année, elles trouvent un député favorable à leur cause pour parrainer les projets de loi sur le suffrage. C’est le député Henry Miles qui accepte d’introduire le premier de ces projets de loi. Quatorze projets de loi sont déposés avant que le dernier soit adopté.
Soutenu par le premier ministre Joseph-Adélard Godbout, le projet de loi no 18 est adopté le 18 avril 1940, à 67 voix contre 9 en deuxième lecture. Il reçoit la même majorité à la troisième lecture, le 18 avril. La Loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité est sanctionnée par le lieutenant-gouverneur le 25 avril 1940, mettant ainsi fin à la discrimination électorale faite aux femmes au provincial.
« Donnez un vote libérateur, ouvrez la porte de l’arène politique aux femmes de chez vous qui sauront rester dans la vie provinciale aussi dignes qu’elles le sont dans la vie fédérale à laquelle elles participent depuis plus de vingt ans. » (Idola St-Jean, en 1939, devant les députés de l’Assemblée nationale).
1940-2020 : 80 ans après
Le 25 avril 1940 marque la fin d’une dure bataille et le début d’une ère nouvelle. Les Québécoises peuvent désormais voter et se porter candidates, mais le défi consiste à se faire élire. Si, lors des élections de 1944, aucune candidate ne fait le saut, une première femme, Mme Dennis James (Mae) O’Connor, se présente lors de l’élection partielle du 23 juillet 1947, dans la circonscription de Huntingdon.
Ce n’est qu’en 1961 que les femmes ont une voix au parlement : Marie-Claire Kirkland-Casgrain, première femme élue et première femme à être nommée ministre. Elle fait avancer la cause des femmes en présentant, en 1964, un projet de loi qui met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. Au palier municipal, les femmes obtiennent progressivement le droit de vote entre 1968 et 1974, selon les villes et les municipalités. Les femmes autochtones qui vivent sur les réserves ont le droit de vote au Québec depuis 1969.
Malgré la loi adoptée en 1940, la présence significative des femmes à l’Assemblée nationale ne s’est fait sentir que dans les années 1980. Les élections générales de 1976 sont les premières lors desquelles plus d’une femme est élue à l’Assemblée nationale. On compte alors cinq députées. Ce nombre augmente à huit élues en 1981. Il faut attendre 1985 pour que les candidates élues dépassent la dizaine. Elles étaient 18 après les élections générales de 1985 et 23 en 1989 et en 1994. Leur nombre atteignait 29 aux élections générales de 1998, ce qui correspond à 23,2 % des sièges.
Au cours des années 2000, la représentation des femmes à l’Assemblée nationale plafonne. Ainsi, les députées représentent 30,4 % des élus en 2003, 25,6 % en 2007 et 29,6 % en 2008. Après avoir atteint le seuil historique de 32,8 % en 2012, la représentation des femmes à l’Assemblée nationale a diminué à 27,2 % lors des élections générales de 2014.
En 2007 et en 2008, le premier ministre Jean Charest a formé les premiers cabinets ministériels comptant autant de femmes que d’hommes ministres. Cette parité n’a pas été répétée depuis. Lors des élections générales de 2012, le Québec a élu, pour la première fois de son histoire, une femme comme première ministre, Mme Pauline Marois.
Lors des élections générales provinciales de 2018, le Québec a atteint deux nouveaux records en matière de représentation politique des femmes. D’abord, un grand nombre de femmes se présentent comme candidates : 375 sur 940. Elles représentent donc 40 % des personnes candidates à ces élections. Le nombre de femmes élues à l’Assemblée nationale fait également un bond important : 53 femmes sont élues. Elles représentent 42 % des députées et députés.
L’égalité politique des femmes et leur accès au pouvoir ont permis de faire évoluer les lois et d’instaurer de nombreuses mesures qui ont contribué à l’évolution de la société québécoise. Rappelons que depuis l’adoption de la Charte québécoise des droits et libertés en 1975, toute discrimination fondée sur le sexe est interdite. Mentionnons quelques avancées importantes :
- la Loi du Conseil du statut de la femme (1973);
- la Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux (1989);
- la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires (1995);
- la Loi sur l’équité salariale (1996);
- la Loi sur l’assurance parentale (2001);
- la Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, « afin d’affirmer expressément que les droits et libertés énoncés dans la Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes » (2008).
La lutte des femmes pour leurs droits s’est donc faite pas à pas. Comme le disait Thérèse Casgrain à propos du combat des femmes pour le suffrage universel : « Si on y met le temps, on arrive à cuire un éléphant dans un petit pot! »
Pourcentage de femmes élues à l’Assemblée nationale depuis 1976
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Année | Pourcentage |
---|---|
1976 | 4,50 % |
1981 | 6,50 % |
1985 | 14,80 % |
1989 | 18,30 % |
1994 | 18,30 % |
1998 | 23,20 % |
2003 | 30,40 % |
2007 | 25,60 % |
2008 | 29,60 % |
2012 | 32,80 % |
2014 | 27,20 % |
2018 | 42,40 % |
2022 | 46,40 % |
Anniversaires du droit de vote et d’éligibilité des femmes au Québec
- 1990 : 50e anniversaire
Nous publions une étude sur la représentation des femmes en politique intitulée Le suffrage féminin et rédigée par France Lavergne. L’étude relate les événements majeurs qui ont eu cours au Québec et offre un aperçu du mouvement suffragiste qui a existé à travers le monde. - 2000 : 60e anniversaire
Le 2 octobre 2000, le directeur général des élections du Québec, le Conseil du statut de la femme, la Commission de la capitale nationale et l’Assemblée nationale dévoilent une affiche réalisée par l’artiste peintre Brigitte Labbé. « L’artiste, Mme Brigitte Labbé, nous offre une femme sereine, une femme qui appartient à toutes les époques, une femme “libre de faire entendre sa voix”. L’affiche produite à partir de cette œuvre se veut un hommage à toutes les femmes, car il n’est pas de démocratie sans elles. »
- 2005 : 65e anniversaire
Le 19 avril 2005, la Médaille de l’Assemblée nationale est remise à Mme Madeleine Parent, représentante des femmes engagées dans la lutte pour l’obtention du droit de vote des femmes. - 2010 : 70e anniversaire
En faisant ériger un monument, l’Assemblée nationale du Québec souhaite rendre hommage aux femmes qui ont milité pour l’acquisition du droit de vote. Ce monument, créé par l’artiste Jules Lasalle et représentant Mmes Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain, Marie Gérin-Lajoie et Marie-Claire Kirkland-Casgrain, est érigé sur les parterres sud de l’hôtel du Parlement et dévoilé le 5 décembre 2012. Le Service de la recherche du directeur général des élections du Québec publie un article sur l’histoire des candidatures féminines (PDF) aux élections québécoises dans un bulletin spécial de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale à l’occasion du 70e anniversaire du droit de vote des femmes.
- 2015 : 75e anniversaire
À l’occasion du 75e anniversaire du droit de vote des femmes, Mme Catherine Lagacé, secrétaire générale du directeur général des élections, a prononcé une allocution lors du lancement de l’exposition Aux urnes, citoyennes! de l’Assemblée nationale, le 22 avril 2015.
Égalité de droit et égalité de fait
En septembre 2014, le directeur général des élections publie le rapport Femmes et politique : facteurs d’influence, mesures incitatives et exposé de la situation québécoise (PDF). Cette étude a pour but d’alimenter la réflexion sur les facteurs influençant la présence des femmes en politique et propose une analyse des mesures adoptées ailleurs dans le monde. Elle porte également un regard sur la situation québécoise et contient des recommandations quant aux conditions à mettre en place pour favoriser une meilleure représentation des femmes en politique au Québec. L’étude conclut, entre autres, que l’un des moments clés de l’entrée des femmes en politique se situe lors du recrutement des candidatures.
En ce qui a trait au constat que la proportion de femmes élues à l’Assemblée nationale stagne depuis 2003, l’étude rappelle que « l’égalité est beaucoup plus qu’une loi : c’est également son application au quotidien qui en fait une véritable valeur pour la société québécoise. » Toujours selon l’étude, une égalité de fait consiste d’abord à éliminer les obstacles qui empêcheraient ou rendraient difficile l’accès de tout citoyen aux différents postes électifs.
- ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DU QUÉBEC. Le suffrage féminin : débats sur la Loi accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité. Législature de Québec, 9-25 avril 1940, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, Québec, 1990.
- ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC. Femmes et vie politique : de la conquête du droit de vote à nos jours, 1940-2010, Assemblée nationale du Québec, Québec, 2010.
- BRADBURY, Bettina. « Devenir majeure – La lente conquête des droits », dans Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990, p. 35-38.
- BROWN, Wayne. « Thérèse Casgrain : suffragette, première femme à diriger un parti et sénatrice », dans Perspectives électorales, Élections Canada, vol. 4, no 1, mai 2002, p. 30-34.
- CLEVERDON, Catherine Lyse. Woman Suffrage Movement in Canada, Presses de l’Université de Toronto, Toronto, 1950.
- COLLECTIF CLIO. L’histoire des femmes du Québec, Quinze, Montréal, 1982.
- DARSIGNY, Maryse. « Les femmes à l’isoloir : la lutte pour le droit de vote », dans Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990, p. 19-21.
- DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC. Femmes et politique : facteurs d’influence, mesures incitatives et exposé de la situation québécoise, Québec, Le Directeur général des élections du Québec, collection « Études électorales », Québec, 2014.
- LAMOUREUX, Diane. Citoyennes? Femmes, droit de vote et démocratie, Les Éditions du remue-ménage, Montréal, 1989.
- LAPLANTE, Laurent. « Les femmes et le droit de vote – L’épiscopat rend les armes », dans Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990, p. 23-25.
- LAVERGNE, France. Le suffrage féminin, Directeur général des élections du Québec, Québec, 1990.
- LAVIGNE, Marie. Le 18 avril 1940 – L’adoption du droit de vote des femmes : le résultat d’un long combat, conférence de Marie Lavigne à l’Auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal le 21 février 2013, Fondation Lionel-Groulx (en ligne). Page consultée le 21 avril 2015.