Audition sur le projet de loi no 185, Loi reportant la prochaine élection scolaire générale et permettant au gouvernement d’y prévoir l’utilisation d’un mode de votation à distance
Allocution de : Pierre Reid, directeur général des élections
Événement : Consultations particulières
Lieu : Assemblée nationale, Québec
Date : 30 mai 2018
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les membres de la Commission,
Je tiens à vous remercier de m’accueillir aujourd’hui.
Je suis accompagné de madame Dominique Drouin, directrice du Service de la recherche, de la planification et de la coopération internationale, et de monsieur Sébastien Allard, directeur des ressources informationnelles.
Introduction
Au cours des minutes qui me sont allouées, je me propose d’émettre certaines recommandations concernant la possibilité évoquée à l’article 5 du projet de loi no 185 de permettre, par règlement, l’utilisation d’un mode de votation à distance pour les prochaines élections scolaires générales.
Je tiens à rappeler brièvement que le rôle du directeur général des élections en matière de scrutins scolaires en est un de soutien. La Loi sur les élections scolaires prévoit, en effet, que chaque commission scolaire demeure responsable de l’organisation de ses élections.
À la lecture du projet de loi, nous comprenons que le délai de report des élections scolaires a notamment pour objectif de permettre l’évaluation et, éventuellement, le déploiement d’un mode de votation à distance en 2020.
Ceci laisse entrevoir trois options :
- le vote par correspondance;
- le vote par téléphone;
- le vote par Internet.
Les déclarations publiques du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport laissent cependant croire qu’il penche davantage vers une évaluation des possibilités qu’offre le vote par Internet.
Je constate, comme vous, tout l’intérêt que suscite cette idée. C’est dans cet esprit que j’ai proposé, lors de mon passage devant la Commission des institutions en octobre dernier, de procéder à une analyse globale du vote par Internet à distance, et ce, pour l’ensemble des paliers électifs : provincial, municipal et scolaire.
Plusieurs voient des avantages au vote par Internet. Parmi ceux-ci, mentionnons :
- la possibilité d’éliminer la barrière de la distance pour les électrices et électeurs qui sont en déplacement, qui habitent en région éloignée ou qui vivent en milieu rural;
- une plus grande accessibilité pour celles et ceux qui souffrent d’un handicap ou d’une condition de santé qui rend les déplacements difficiles;
- une plus grande autonomie pour les électeurs qui, autrement, devraient demander de l’assistance pour voter;
- une plus grande commodité pour les électeurs qui, pour une raison ou pour une autre, ont du mal à trouver le temps nécessaire pour se rendre au bureau de vote;
- une alternative qui s’inscrit dans les habitudes d’utilisation des technologies par bon nombre d’électeurs.
Le vote par Internet s’accompagne aussi fréquemment de l’espoir de revitaliser la démocratie en augmentant le taux de participation et de pouvoir tenir des élections à moindre coût.
Toutefois, si le législateur souhaite s’engager dans cette voie, nous croyons qu’il doit le faire en sachant qu’il n’existe pas, à ce jour, de garantie que ces avantages se concrétiseront. Nous tenons ainsi à préciser d’ores et déjà ce qui suit.
La participation électorale
L’augmentation de la participation électorale est souvent mentionnée comme un objectif de l’implantation du vote par Internet. Nous avons porté attention aux expériences menées lors d’élections municipales dans les villes canadiennes de Markham, de Peterborough et de Halifax. Bien que des enseignements utiles puissent en être tirés, à notre connaissance, aucune de ces expériences n’a permis de conclure que l’adoption du vote par Internet à distance a eu pour effet d’augmenter la participation électorale de façon soutenue et significative. Qui plus est, les données recueillies à l’occasion de ces expériences montrent que l’incidence sur les jeunes électrices et électeurs n’est pas nécessairement celle qui était anticipée.
Ailleurs dans le monde, l’expérience de l’Estonie, de la Suisse et de la province de New South Wales, en Australie, ne permettent pas, non plus, de conclure que le vote par Internet augmente la participation électorale.
Les électeurs se rendent aux urnes pour différentes raisons. Le mode de votation, et donc le niveau de commodité, n’est que l’un des facteurs qui peuvent l’expliquer. La connaissance des enjeux ainsi que des personnes candidates et de leurs propositions doit aussi être promue et facilitée lorsque l’on désire augmenter la participation électorale.
Les coûts
Au chapitre des coûts, rien n’indique que l’implantation de cette modalité de vote mènera à des économies. Un examen rigoureux reste encore à faire pour bien comprendre les effets financiers des options qui pourraient être retenues. L’expérience montre cependant que là où une forme de vote par Internet est offerte, le vote papier demeure en général possible.
Certains pourraient soutenir qu’il serait simple et peu coûteux de faire appel à des solutions de vote en ligne déjà existantes. Nous croyons en revanche que le maintien des standards de sécurité, de confidentialité et d’intégrité habituellement associés au vote papier requiert une analyse plus poussée si nous souhaitons obtenir une estimation réaliste des coûts.
La recherche de solutions
Je tiens à souligner que nous adhérons aux objectifs de modernisation qui sous-tendent la proposition d’utiliser, lors des prochaines élections scolaires, un mode de votation à distance.
C’est ainsi que, conformément à notre mission qui est de veiller à l’intégrité, à la transparence et à l’équité du système électoral, nous souhaitons proposer au législateur un éclairage complet et objectif sur les avantages et les défis de l’introduction partielle ou complète du vote par Internet à distance, quel que soit le palier électif.
Sous réserve de l’approbation du projet par l’Assemblée nationale, conformément aux dispositions de l’article 485 de la Loi électorale, cette étude aborderait les aspects suivants :
- sur la base de l’examen de la littérature existante et des expériences de vote par Internet à distance au Canada et ailleurs dans le monde, dégager et préciser les enjeux liés à l’adoption de cette technologie dans le contexte québécois;
- au regard de nos obligations, évaluer l’effet de l’introduction de cette technologie de vote sur les exigences de notre système électoral en matière de transparence, d’intégrité et d’équité;
- évaluer la concordance entre le vote par Internet à distance et le cadre légal actuel;
- analyser les risques technologiques liés au vote par Internet à distance et les mesures et mécanismes disponibles à ce jour pour les encadrer, les limiter ou les éviter;
- au regard des changements que pourrait introduire l’adoption de cette technologie de vote, préciser les attentes des électeurs et des différentes parties prenantes du processus électoral québécois, et évaluer l’acceptabilité sociale de cette technologie ainsi que le niveau de tolérance au risque des électeurs, des candidats et des partis politiques;
- évaluer la possibilité de recourir au vote par Internet à distance dans différents contextes électoraux, soit lors d’essais aux paliers provincial, municipal ou scolaire, d’élections partielles ou générales, d’une consultation, du vote par anticipation ou du vote ordinaire, ou auprès de certaines catégories d’électeurs;
- au regard des obligations en matière de reddition de comptes publique, évaluer les coûts et les bénéfices du développement, de la mise en oeuvre et de l’entretien de cette technologie.
Toutefois, pour être en mesure de faire des propositions éclairées, en phase avec la réalité québécoise, nous avons besoin d’un délai de réalisation supérieur à ce que le projet de loi implique.
Dans le scénario proposé dans le projet de loi no 185, deux ans environ nous séparent des prochaines élections générales scolaires.
Ceci laisse peu de temps pour consulter la population et les experts, mener l’étude souhaitée, présenter des propositions au législateur et, le cas échéant, modifier le cadre législatif pour permettre l’implantation de la solution retenue dans le respect des normes et des règles qui auront été déterminées.
De plus, ne l’oublions pas, un tel changement doit aussi inclure la mise en place d’une stratégie d’information à l’intention des électrices et électeurs.
Enfin, la Loi sur les élections scolaires donne présentement au directeur général des élections un rôle de soutien aux présidents d’élection dans l’organisation des scrutins scolaires. Si certaines des modalités choisies au terme de la réflexion annoncée à l’article 5 du projet de loi no 185 impliquent de confier au directeur général des élections un rôle différent, nous croyons qu’il sera nécessaire de procéder par voie législative, de manière à préserver son indépendance.
Le report des élections scolaires
D’un point de vue logistique, nous sommes en mesure d’accompagner les commissions scolaires en vue d’élections scolaires qui se tiendraient à l’automne 2018.
Nous concédons toutefois que la succession de deux événements électoraux à environ un mois d’intervalle pourrait avoir un effet négatif sur la participation électorale, et il faut admettre que l’effervescence des élections provinciales risque de détourner l’attention de l’électorat et des médias du rendez-vous électoral scolaire.
Je me permets donc de proposer la possibilité de reporter les élections scolaires au printemps 2019.
Ceci amènerait les élections générales scolaires suivantes en 2023, nous offrant le temps requis pour mener à bien les analyses et, le cas échéant, la mise en application de la solution retenue.
Conclusion
En terminant, je tiens à affirmer de nouveau les principes qui orientent notre intervention d’aujourd’hui : la tenue d’une élection doit répondre à certaines obligations qui permettent d’en assurer l’intégrité, la transparence et l’équité, peu importe qu’elle se situe au palier scolaire, municipal ou provincial.
Ce sont ces principes qui nous guident dans notre volonté d’innover, de mettre la technologie au profit du système électoral québécois et d’encourager la participation électorale.
En effet, l’exercice d’une saine démocratie, peu importe le palier électif et la technologie employée, doit pouvoir s’appuyer sur l’édiction de règles claires et d’un processus intègre et transparent.
Or, le vote par Internet est plus qu’une simple mécanique électorale.
Il s’accompagne d’enjeux liés à la sécurité des systèmes, à la transparence du processus et à la confidentialité du vote, sans oublier les enjeux liés à l’imputabilité des acteurs, à l’identification des électeurs et aux recours en cas de contestation.
Il en va de la confiance des électeurs envers le processus démocratique. Sans cette confiance, l’exercice même du vote perd son sens.
Par ailleurs, il faut retenir que des changements relatifs aux modalités de vote ne peuvent à eux seuls compenser les causes profondes d’un faible taux de participation.
Si le vote par Internet doit être implanté au Québec, il doit d’abord être pensé de façon globale pour tous les paliers électifs, où les standards doivent être les mêmes, tout en tenant compte de l’ensemble des enjeux.
Nous désirons prendre part à cette recherche de solutions. Et pour ce faire, nous prônons une approche réfléchie, qui commencerait par une analyse d’opportunité pour bien cerner les enjeux au Québec et éclairer la prise de décision publique quant aux objectifs poursuivis.
Je vous remercie de votre attention.
Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
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