Audition sur le projet de loi no 64, Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels
Allocution de : Pierre Reid, directeur général des élections
Événement : Consultations particulières
Lieu : Assemblée nationale, Québec
Date : 22 septembre 2020
Pour en savoir plus : Projet de loi sur la protection des renseignements personnels : M. Reid fait des recommandations et dépose un mémoire
La version lue fait foi.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres de la Commission,
Je tiens à vous remercier de votre invitation à prendre part aux présentes consultations particulières.
Je suis accompagné de Mme Catherine Lagacé, secrétaire générale et responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels.
Introduction
Le projet de loi 64, Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, propose d’assujettir les entités politiques autorisées à certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Le Québec deviendrait ainsi la deuxième province, après la Colombie-Britannique, à se doter d’un régime d’encadrement législatif en matière de protection de la vie privée qui s’applique aux partis politiques.
Depuis 2013, Élections Québec recommande de réviser en profondeur les différentes lois électorales en matière de protection des renseignements personnels des électeurs. En 2019, nous avons déposé une étude à l’Assemblée nationale afin de fournir un éclairage sur ces enjeux. Cette étude contient neuf recommandations, dont celle d’assujettir les partis politiques provinciaux et municipaux à un encadrement législatif en matière de protection des renseignements personnels.
J’ai déposé devant cette Commission un mémoire qui détaille mon analyse du projet de loi 64 et qui inclut certaines recommandations.
Ce projet de loi propose d’obliger les partis politiques provinciaux à mettre en place des mesures de gouvernance pour assurer la protection des renseignements personnels qu’ils détiennent. Les mesures répondent à plusieurs de nos recommandations.
Élargir la portée du projet de loi
J’aimerais maintenant signaler aux membres de cette commission certaines de mes préoccupations concernant le choix des entités qui seraient assujetties au projet de loi 64.
Dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne vise que les partis politiques provinciaux. Or, les partis politiques municipaux, qui ont aussi accès aux données des listes électorales et qui en font une utilisation similaire, ne sont pas assujettis au projet de loi 64. Je suis d’avis que les obligations devraient être les mêmes pour les partis politiques de tous les paliers électifs.
Pour une application uniforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé
Par ailleurs, tous les renseignements personnels détenus par un parti politique devraient, à mon avis, être protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Au lieu de cela, le projet de loi 64 crée un régime d’exception pour les partis politiques. Il prévoit des obligations particulières et certaines exclusions qui seraient inscrites dans la Loi électorale. Les renseignements personnels détenus par les partis politiques seraient donc sujets à des mesures de protection différentes de celles qui s’appliqueraient aux entreprises privées.
La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé est un régime d’encadrement général qui s’applique à toute personne qui exploite une entreprise au Québec, peu importe sa taille, la nature de ses activités ou la catégorie de renseignements personnels qu’elle détient.
En Colombie-Britannique, les partis politiques sont soumis à toutes les règles de la loi encadrant la protection des renseignements personnels détenus par les organisations privées. Il en est de même au Royaume-Uni et dans les pays membres de l’Union européenne, où les partis politiques ne bénéficient d’aucun régime particulier.
L’encadrement proposé serait limité aux renseignements personnels des électrices et des électeurs, alors que les partis politiques détiennent également des renseignements sensibles sur leurs candidates et candidats, sur leurs membres et sur leurs donateurs. De plus, les partis politiques recueillent des renseignements sur leurs militants, leurs bénévoles et leurs employés. Il ne s’agit donc pas seulement de renseignements portant sur des électeurs, puisque ces personnes peuvent avoir moins de 18 ans et ne pas être de citoyenneté canadienne.
Le projet de loi 64 exclut aussi les partis politiques de certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, notamment celles qui visent à informer les électrices et les électeurs des raisons précises qui justifient la collecte de leurs renseignements personnels ou à leur permettre de contrôler l’utilisation qui en sera faite. La collecte et l’utilisation devraient simplement s’inscrire à l’intérieur de la large catégorie des fins électorales ou de financement.
Des renseignements sur une personne ayant appuyé une candidature pourraient-ils être utilisés, ultérieurement, pour alimenter une base de données électorales, dans laquelle cette personne serait une sympathisante politique? Est-ce qu’il serait nécessaire, pour un parti politique, d’obtenir un consentement supplémentaire de cette personne? Quelle serait la forme du consentement qu’un parti politique devrait alors obtenir?
Un parti politique pourrait-il, par exemple, alimenter sa base de données électorales avec des informations recueillies à l’occasion d’une pétition, sans devoir obtenir un consentement supplémentaire de la part des personnes concernées? Je suis d’avis que les renseignements révélant les opinions politiques des personnes sont de nature sensible et justifient qu’un consentement explicite soit exigé.
De plus, contrairement aux renseignements protégés par le cadre général proposé pour les entreprises privées, les données recueillies par les partis politiques pourraient être conservées indéfiniment. Les personnes concernées n’auraient pas le droit de demander la destruction des informations qui les concernent, même si ces informations sont inexactes, périmées ou qu’elles ne sont plus utiles aux activités du parti.
Je tiens à souligner qu’une conservation prolongée de renseignements personnels augmente le risque de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées si un incident de sécurité survient.
Les partis politiques devraient avoir l’obligation, tout comme les entreprises et les organismes publics, de détruire les renseignements qu’ils détiennent lorsqu’ils n’en ont plus besoin.
Cela me semble d’autant plus important que les partis politiques obtiennent le nom, l’adresse, le sexe et la date de naissance de plus de 6 200 000 électrices et électeurs inscrits sur les listes électorales sans leur consentement individuel.
L’occasion de mieux encadrer l’accès aux données des listes électorales
Cela m’amène à vous faire part de mes préoccupations concernant la confidentialité des listes électorales, que le projet de loi 64 n’aborde pas, mais qui avaient été soulevées dans l’étude sur la protection des renseignements personnels détenus par les partis politiques que j’ai déposée en février 2019.
Je suis d’avis que les lois électorales devraient être modifiées pour que la date de naissance et le sexe des électrices et des électeurs soient retirés des listes électorales transmises aux députés, aux candidats et aux partis politiques. La communication de ces renseignements augmente les risques d’atteinte à la vie privée, telle une usurpation d’identité, qui pourraient survenir à la suite d’une perte, d’une fuite ou d’un vol de données.
Ces listes pourraient, par ailleurs, être transmises une fois par année au lieu de trois. Les partis politiques du Québec reçoivent les listes électorales plus fréquemment que les autres partis politiques canadiens.
Je réitère aussi notre recommandation de ne plus fournir aux partis, aux candidats et aux députés des renseignements qui permettent d’identifier des électrices et des électeurs vulnérables, ceux qui ne peuvent se déplacer pour voter en raison de problèmes de santé. Je recommande également de cesser de transmettre l’adresse temporaire des électeurs admis à exercer leur droit de vote à l’extérieur du Québec. Ces divulgations risquent de causer des préjudices aux personnes concernées et dépassent le besoin des partis de communiquer avec les électrices et les électeurs pour solliciter leur appui.
Conclusion
En conclusion, je suis convaincu que l’assujettissement des partis politiques à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé permettrait d’assurer une gouvernance responsable et renforcerait le contrôle des citoyennes et des citoyens sur leurs renseignements personnels.
Je suis cependant préoccupé par la mise en place d’un régime d’exception à l’intention des partis politiques. Ce régime ferait en sorte que certains renseignements ne seraient pas protégés de la même manière que les données détenues par les entreprises privées. Les renseignements personnels de tous les citoyens et de toutes les citoyennes méritent d’être protégés. Pour ces raisons, je recommande que les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé s’appliquent à l’ensemble des renseignements personnels détenus par les partis politiques.
Je souhaite que le projet de loi 64 devienne aussi le véhicule des changements que nous recommandons depuis plusieurs années afin d’assurer une meilleure protection des renseignements personnels qui sont transmis aux entités politiques en vertu de la Loi électorale.
En terminant, je profite de cette tribune pour rappeler aux membres de cette commission l’importance de moderniser de manière cohérente les lois électorales afin qu’elles s’adaptent aux enjeux émergents et qu’elles répondent aux attentes de la société québécoise.
Je vous remercie de votre attention.