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Allocutions

Audition sur le projet de loi no 57, Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal

Allocution de : Jean-François Blanchet, directeur général des élections

Événement : Audition du directeur général des élections du Québec sur le projet de loi no 57

Lieu : Assemblée nationale du Québec

Date : 1 mai 2024

Pour en savoir plus : Protection des élus par le DGE : un risque pour la perception de sa neutralité et de son indépendance

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les membres de la Commission,

Je vous remercie de m’avoir invité à prendre part à ces consultations particulières sur le projet de loi no 57, la Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal.

Je suis accompagné de :

Introduction

Je souhaite réagir en deux temps, aujourd’hui, au projet de loi n57.

Je commencerai par le volet qui édicte la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions, qui me confierait la possibilité d’entreprendre des recours judiciaires au nom des élus provinciaux.

Le second volet de mon intervention portera sur les modifications apportées par le projet de loi à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (à laquelle vous me permettrez de référer par son sigle, c’est-à-dire LERM).

J’ai déposé devant cette Commission un mémoire qui détaille mon analyse du projet de loi et qui présente mes recommandations ainsi que mes mises en garde sur certaines de ses dispositions.

Permettez-moi de vous en présenter quelques-unes.

Le projet de loi visant à mieux protéger les élus

La Loi visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions introduirait de nouveaux recours légaux pour mieux protéger les élus.

Le projet de loi prévoit que le directeur général des élections pourrait demander une injonction, au bénéfice d’une députée ou d’un député, pour qu’une personne cesse certains comportements qui entravent indûment l’exercice de ses fonctions ou qui portent atteinte à son droit à la vie privée.

Il pourrait également intenter une poursuite pénale pour une nouvelle infraction qui prévoit une amende allant jusqu’à 1 500 $ pour quiconque entrave l’exercice des fonctions d’un député en le menaçant, en l’intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou pour sa sécurité.

Je souscris aux objectifs des mesures proposées, soit d’offrir une protection additionnelle aux personnes élues. Toutefois, ces nouveaux outils légaux ne devraient pas être sous ma responsabilité. En les appliquant, je serais susceptible de me trouver dans des situations qui pourraient affecter négativement la perception du public à l’égard de ma neutralité et de mon indépendance, deux aspects très importants dans les fonctions que j’occupe.  

Par exemple, la simple décision de me porter ou non à la défense d’une ou d’un élu, ou le fait que je me porte à la défense de cette députée, mais pas de celui-là, pourrait mener certaines personnes à remettre en question mon impartialité, même si ces décisions dépendraient de la valeur de la preuve recueillie. Les éventuelles accusations de partialité pourraient aussi venir du fait que le recours pour défendre un élu vise une personne associée à un autre parti.

De plus, le fait que je prenne la défense des élus, dont certains forment le gouvernement, pourrait fragiliser la perception du public face à mon indépendance, donnant l’impression que je travaille pour eux ou que je les favorise.

Ces mécanismes pourraient aussi, malheureusement, faire l’objet d’instrumentalisation, particulièrement en période électorale, au détriment d’Élections Québec et de la confiance dont elle bénéficie. Il ne s’agit là que de quelques exemples ; je présente d’autres enjeux d’application dans mon mémoire.

Les personnes élues doivent pouvoir exercer leur rôle librement et sereinement, dans un climat respectueux, sans craindre pour leur sécurité. Nous devons, collectivement, nous offrir des conditions qui favorisent leur participation et leur implication de manière durable.

Néanmoins, pour les raisons que je viens d’exposer, les nouvelles responsabilités que le projet de loi prévoit me confier me semblent incompatibles avec ma mission. Alors que la désinformation fragilise les démocraties, l’une de mes priorités est de préserver la confiance de la population envers mon institution et envers les élections sous ma responsabilité.

À ma connaissance, aucune administration électorale canadienne n’exerce de rôle de protection des personnes élues. Par ailleurs, il existe déjà au Québec des institutions compétentes qui assument des responsabilités en matière de protection des personnes élues, dont l’Assemblée nationale et les différents corps policiers. Ces institutions ont les compétences nécessaires pour recevoir ce type de demande et pour y donner suite. Certaines infractions sous leur responsabilité sont d’ailleurs assorties de sanctions plus sévères et plus dissuasives que celles prévues au projet de loi.

Les modifications aux processus électoraux municipaux

Un autre volet du projet de loi modifie la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités. Mon expérience en matière d’élections ainsi que les responsabilités que j’exerce lors des élections municipales m’amènent à vous formuler plusieurs recommandations et pistes d’amélioration dans mon mémoire.

Le projet de loi propose quelques avancées intéressantes. Par exemple, l’introduction de manière pérenne du vote au bureau du président d’élection améliorera l’accès au vote des électrices et des électeurs. Cependant, je recommande d’éviter de fixer une plage horaire pour la tenue de ce vote ; il vaut mieux laisser la même latitude à l’ensemble des présidentes et présidents d’élection, afin qu’ils puissent déterminer les moments où ils l’offriront.

Par ailleurs, en vertu des dispositions du projet de loi, la ministre disposerait de nouveaux pouvoirs pour reporter ou pour suspendre une élection dans le contexte d’une urgence ou d’un événement imprévisible.

Pour éviter tout chevauchement entre ces nouveaux pouvoirs et ceux que je possède déjà pour adapter la loi lors d’un événement imprévisible, il serait préférable que ce pouvoir de suspendre et de reporter une élection soit octroyé au directeur général des élections, en période électorale, après consultation de la ministre. Cela permettrait, dans une même décision, d’adapter l’ensemble des opérations liées au scrutin et au financement.

Le projet de loi prévoit aussi que je transmette annuellement un extrait de la liste électorale aux partis politiques municipaux et aux municipalités. Cette transmission ne m’apparaît ni nécessaire ni souhaitable en dehors d’un contexte électoral, notamment en raison du fait que les partis politiques municipaux ne sont soumis à aucune des deux lois québécoises qui encadrent la protection des renseignements personnels dans les secteurs publics et privés.

Enfin, le projet de loi vient protéger l’adresse des personnes candidates aux élections provinciales et municipales figurant dans leur déclaration de candidature. Pour les élections municipales, cette protection limiterait toutefois la possibilité de contester l’éligibilité d’une personne candidate sur la base de cette information. Si l’adresse est ainsi protégée, il faudrait prévoir un autre mécanisme permettant de connaître cette adresse aux fins de contestation de l’éligibilité.

D’ailleurs, d’autres mesures pourraient être prévues dans les lois électorales pour mieux protéger les renseignements personnels des personnes candidates, des élus et des électrices et électeurs. Une réflexion d’ensemble à ce sujet, dans un véhicule législatif qui y serait consacré, me semble nécessaire pour assurer une meilleure cohérence dans les lois.

Nos autres recommandations

Malheureusement, le projet de loi ne donne pas suite à de nombreux changements à la LERM que je recommande depuis plusieurs années. Certaines de ces recommandations étaient d’ailleurs prévues dans la version initiale du projet de loi n49, avant d’en être retirées par amendements, en 2021. Une évolution majeure de la LERM en matière de scrutins et de financement demeure souhaitable.

Parmi les évolutions prioritaires, je souhaite réitérer ma recommandation de placer les présidentes et présidents d’élection sous l’autorité du directeur général des élections dans l’exercice de leur fonction. Cela répondrait à un besoin qu’ils m’ont exprimé. Les présidents d’élections resteraient responsables du bon déroulement de leur élection, mais ce changement renforcerait la neutralité et l’indépendance exigées par leur fonction. Ils bénéficieraient aussi d’un soutien additionnel pour mieux remplir leurs responsabilités, qui se sont accrues et complexifiées au cours des dernières années.

Conclusion

En terminant, je souhaite assurer les élus de ma collaboration et de mon ouverture à assumer les nouveaux rôles et les nouvelles responsabilités qui peuvent m’être confiés afin de répondre aux besoins qui émergent au fil de l’évolution de l’environnement électoral québécois.

Malgré l’importance et le sérieux de la problématique que vise à améliorer le projet de loi en ce qui concerne la protection des élus, je crains que le fait de me confier ces nouvelles responsabilités affaiblisse la confiance des citoyennes et des citoyens dans mon institution. Par extension, c’est aussi la confiance envers les élections qui pourrait être fragilisée. Ce ne serait pas là un gain collectif.

Les élections municipales se complexifient, tout comme le rôle des présidents d’élection. Pour l’avenir, je suis convaincu que ce serait utile de mettre l’expertise de mes équipes à profit, de leur faire jouer un plus grand rôle de soutien auprès des présidentes et présidents d’élections. Cela faciliterait leur indépendance et l’organisation des scrutins dans le respect des dispositions de la loi.

Une réflexion d’ensemble sur la protection des renseignements personnels s’impose pour mieux protéger les renseignements des personnes candidates, des élus, ainsi que des électrices et des électeurs. Cette réflexion m’apparaît nécessaire avant d’envisager toute transmission additionnelle des listes électorales.

La Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités est mûre pour une révision importante. Mes équipes et moi demeurons disponibles pour réfléchir à son évolution, et, plus largement, à l’amélioration de nos lois électorales et à leur harmonisation.

Je vous remercie de votre attention.

Je répondrai à vos questions avec plaisir.